La collection de 100 brochettes de bonbons de Mary
1er mars 9 heures, j’arrive à l’école et je découvre les institutrices avec leurs élèves qui sont là tout excités par la promesse de cette journée de fête de l’école. C’est le centième jour d’école et pour certains c’est un émerveillement car voilà tout juste cent jours, ils ne savaient pas lire et maintenant ils prennent conscience qu’ils peuvent lire à peu près tout ce qui est à leur portée. Ils ont des étoiles dans les yeux lorsqu’ils déchiffrent un mot nouveau et qu’ils en comprennent le sens.
Je sais que je vais passer une merveilleuse journée entourée de tous ces jeunes enfants qui ont entre six et huit ans. Le centième jour j’en entends parler depuis longtemps et, moi aussi, je suis impatiente de découvrir tout ce qui va se passer autour de cet évènement.
J’arrive dans les classes et là je mesure le travail fourni par les enseignantes pour transformer leurs deux classes en ateliers créatifs ainsi que la salle des maîtres en atelier cuisine.
Les enfants sont par groupes de six avec un savant dosage entre les trois niveaux (de CP à CE2), entre les filles et les garçons et entre les timides et les plus bavards. Ils se répartiront ainsi tout au long de la journée dans les divers ateliers qui dureront environ 45 minutes chacun.
Il y a :
– Sport avec une course d’orientation
– Arts visuels (fabrication d’une couronne avec des bandelettes chacune décorée avec une série de 10 représentations et le tout collé sur une bande horizontale)
– Arts visuels (dessins de figures géométriques avec des couleurs concentriques)
– Atelier cuisine (préparation des diverses gourmandises pour le goûter collectif)
– Atelier mathématiques
– Atelier production d’écrits
Je suis chargée, tout au long de cette journée, de l’atelier production d’écrits. Je suis heureuse car je sais que je vais me régaler à leur faire produire de la matière verbale pour en faire un écrit. Tout d’abord, je les invite à venir découvrir leur photo qui se trouve sur un bureau. Et là surprise ! Car c’est une photo un peu spéciale : ils se découvrent avec un visage vieilli ! Je leur annonce que c’est eux et qu’ils ont cent ans ! Leurs premières réactions se divisent en un tiers qui écarquillent de grands yeux et prennent un air sérieux et les deux tiers qui rient de bon cœur et se trouvent plus ou moins drôles ou plus ou moins beaux. Une fois revenus à leur place autour de la table, je vais les faire parler et noter toutes leurs réflexions sur cette étrange découverte d’eux-mêmes.
Je leur pose quelques questions afin qu’ils s’expriment, du type :
Vous avez cent ans !
- Comment vous trouvez-vous sur la photo ?
- Quels métiers aurez-vous fait au cours de votre vie ?
- Comment seront les voitures ?
- Aurez-vous lu beaucoup de livres ?
- Est-ce qu’il y a des fusées ?
- Avez-vous voyagé ?
- Qu’allez-vous faire de votre photo ?
J’aime ma tête. Ah non je me trouve horrible. Moi, je ne veux pas être vieille parce que les enfants se moquent de moi. Je ne me trouve pas belle, je cache ma photo. J’ai plein de traits sur le front, je me trouve rigolote. Je ne veux pas avoir ce visage. Comme je me trouve beau ! C’est marrant de se voir à cent ans. Moi on dirait un chinois ! Les photos ne sont pas belles. On sera mémé un jour ? Je n’aime pas les fripures, les rayures et les bosses de mon visage. Elle me ressemble ma photo ! Ma photo je la trouve cool.
On fêtera toujours notre anniversaire ? Si on est vieille, on devient petite ? Si je mets ma photo près de ma tête c’est comme si mon papy était à côté de moi ! Cent jours ça passe vite, mais cent ans c’est très long ! Moi, si je vais à cinquante, j’irai à cent. Je ne veux pas ça donc je veux mourir. Ma photo ne me fait pas peur. Il manque le corps c’est dommage ! Je ne veux pas être mémé car je ne veux pas aller au ciel. Je ne veux pas être adulte parce que c’est moche et je n’ai pas envie d’être grosse ! On est vieux à cent ans ? Moi, à cent ans je serai mort. C’est long cent ans ! Moi, j’ai envie d’avoir cent ans un jour. Non, moi je ne veux pas être vieux.
Dis, t’as quel âge toi ? (65)
Tout ça ! Ce n’est pas cent mais c’est beaucoup !
A cent ans, on aura pris notre retraite. Ma grand-mère a cent un ans, elle est entraineuse de ………. ; judo, alors moi je serai entraineur de judo. J’aurai travaillé et j’aurai eu des enfants mais pas trop non plus car c’est casse pied ! J’aurai été policière pour arrêter les monstres ! J’aurai fait des dessins dans des livres. J’aurai travaillé pour avoir de l’argent. Moi, je serai bijoutière et j’aurai plein de bijoux. Je travaillerai dans un zoo pour bien m’occuper des animaux. Moi, à dix-huit ans je serai maître et après j’aurai travaillé chez Mac Do et après Docteur. Je serai pêcheur de gros poissons. Je vais faire super mamie, je serai déguisé en fille, il y aura des règles comme les règles de vie à l’école. Je serai fermière avec des vaches et des chevaux. Je ne serai pas à la retraite, je veux toujours travailler. Moi, j’aurai été cuisinier, c’est mon rêve ou boulanger avec mes petits-enfants. Peut-être que j’aurai encore mes cheveux longs et que j’aurai été coiffeuse !
Dis, toi tu fais quoi ? (Je suis à la retraite)
Mais avant ?
Ah bon on peut faire plusieurs choses, moi mon papa il fait toujours pareil !
Il y aura plein de voitures, des voitures anciennes, des chevaux et des carrioles, des voitures électriques. Ce sont les hommes et les femmes qui les conduisent sauf s’ils ont une canne. Il y a des voitures qui vont rouler toutes seules. Il y aura aussi des voitures sans chauffeur. Moi, je voyagerai en avion ou en voiture décapotable ou avec un robot qui roule. Je serai allé en Chine et au Japon avec un train. Moi, en Allemagne et je ferai des petites promenades. Moi, j’aurai voyagé en dormant. (Tu auras rêvé ?) Non c’est comme voyager en fermant les yeux. Moi, je vais aller en fusée sur la lune. Moi, je serai allé en Amérique. Et moi dans tous les pays en train sous-marin. Et moi, dans l’univers pour voir la terre en bas.
J’aurai lu beaucoup de livres en français. Et moi, dans toutes les langues. Moi, en italien et en espagnol. Moi, je n’aurai pas beaucoup de livres. Moi, je lirai des histoires aux enfants. Je n’aurai pas lu beaucoup de livres, je serai policier. Moi, je saurai encore lire mais avec une loupe.
Ma photo, je veux la déchirer et la mettre à la benne. Je vais mettre ma photo dans mon déguisement. Moi, je vais la mettre sur la porte de ma chambre et comme ça mes parents vont avoir peur. Je vais la garder ma photo. Moi, non car je ne suis pas joli. Je vais garder ma photo et l’accrocher à mon mur, je vais la regarder chaque jour, et quand je serai mémé ce sera un souvenir ! Moi, non car je ne suis pas belle. Moi, je vais la retoucher avec du tippex pour cacher mes traits aux yeux. Je ne montrerai jamais ma photo à maman parce qu’elle trouve que je suis pas belle sur les photos.
Je ressemble à une sorcière avec mon menton. Moi, je n’irai plus à la piscine, je ne saurai plus nager. Je ne veux pas être vieux car on n’a pas beaucoup d’argent. Je veux être vivante mais pas vieille. Moi, je me trouve mémé et sotte. Je ne veux pas avoir cent ans. Je ferai encore du cheval ? On sera un fantôme ? Mon cousin, il a sept ans et moi huit alors, je vais mourir avant lui. Moi, je ne suis pas pressé d’être vieux ! Moi, j’aurai beaucoup ri ! Et moi, je ne serai bien amusé !
Chaque enfant avait préparé à la maison et apporté le matin, une collection autour de cent objets. En fin de journée ils l’ont présentée individuellement à l’ensemble de leurs camarades et aux adultes présents. Tout un échantillon de créativités et d’imaginations sont représentées au travers de leurs productions. La journée s’est terminée par un très beau et bon goûter, préparé par les enfants, et chacun est reparti chez soi avec plein de belles images et d’émotions vécues au cours de cette journée historique. Le soir, chez moi, j’imaginai toutes ces petites voix racontant cette belle journée à la maison !
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Ma jardinière de bonbons pour remercier les enfants
Quant à moi, je suis rentrée avec la tête pleine de toutes leurs réflexions, de ces beaux moments de partage avec tous ces enfants. C’est une grande richesse que d’avoir la possibilité de les écouter, de les entendre et surtout d’entendre ce qu’ils ont à nous dire. Prenons-nous suffisamment de temps pour eux ? Moi, ce jour-là je me suis régalée et il est rare d’avoir des échanges intergénérationnels aussi sincères, vrais et sans tabous. C’est une grande leçon que m’ont donnée tous ces enfants.
Merci à eux et aux enseignantes qui m’ont fait confiance, en m’attribuant cet atelier. J’ai reçu un très beau cadeau de leur part à tous.
MARY
PS : pendant les semaines qui précédaient les 100 jours, Arthur s’est appliqué à préparer sa collection surprise, en coloriant les grandes zones linguistiques du monde, en écrivant et prononçant le 100 en chinois, en japonais, en anglais, en espagnol … et même en russe !
Arthur appliqué à écrire en chinois
Fiers tous les deux !
phase de coloriages des zones linguistiques
100 en chinois, japonais… autour du monde
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